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Sprachchaos

Wednesday, February 11th, 2004

Rigobert est un jeune homme plutôt normal. Et francophone, d’ailleurs. Mais un jour, les alinéas de la vie font qu’il trouve du travail dans une ville bilingue: un tiers de ses habitants parlent français, les autres parlent un truc que Rigobert prend pour des borborygmes. Il est décontenancé quand on lui dit füfi füfzg sit so guet. Il ne sait pas trop ce que ça veut dire, mais ça doit forcément être fort peu civil.

Rigobert est un peu méfiant vis-à-vis de cette langue, dont à propos de laquelle les gens qui la parlent s’écrivent quand même avec huit consonnes à la suite. Mais quand même, il essaie de s’intégrer en prononçant les premiers mots qu’il comprend: Adieu, Merci (prononcer Määärttsssi), Et voilà, Röstis, Häsch dini Ovo hüt scho gha.

Il commence d’apprécier le charme du bilinguisme, surtout les cartes de restaurant qui lui proposent de l’émincè de bouef avec haricots knospe. Il comprend assez vite le concept de ville bilingue: tout le monde parle dans sa langue, donc si t’es minoritaire t’es un peu dans la merde. Il se dit que le bilinguisme, c’est très démocratique.

Il parle de mieux en mieux le suisse allemand, assez pour se rendre compte qu’il y a 423 dialectes différents et qu’il n’en comprend que deux, assez aussi pour oublier toutes ses notions de Hochdeutsch. Même qu’il va baliser grave si des fois il allait dans le Nord, là où on parle un allemand qui fait pas mal en le prononçant, dans pas longtemps.

Mais quand même, il arrive à tenir des conversations sur des sujets non-météorologiques. Il se dit qu’il est fasch zwöisprächig et que il va pouvoir frimer grave devant ses petits copains lémaniques.

Mais il lui reste un effort à accomplir, une barrière à abattre, une victoire à victoirer: il aurait bien aimé comprendre la blague vraisemblablement cochonne qui a fait s’esclaffer ses petits collègues (et rougir ses petites collègues) à midi.