Dans les trains, on se fait plein de nouveaux amis.
Et parfois dans les trains, mais aussi dans les avions, les bus, les métros, les squares et, plus rarement, dans les fours micro-ondes, on rencontre une espèce en voie de disparition: le gosse d’une deuxaine d’années.
Le gosse d’une deuxaine d’années normalement constitué ne lit pas Le Monde ni même le dernier Fluide Glacial, ce qui est pourtant une saine occupation dans le train, surtout Fluide, le Monde c’est pour frimer mais le cahier sportif est tout mince et parle même pas des résultats du FC Thierrens pourtant brillant cette année, mais là je digresse.
Graisse.
Le gosse de deux ans présente deux caractéristiques intéressantes: sa cyclothymie et sa soif de reconnaissance.
Au début du voyage, il est triste, pour des griefs qui lui sont propres, le gosse de deux ans a ses raisons que la raison ne peut pas connaître. Fort heureusement, il se calme assez vite, au bout de trois petites heures. Mais il peut alors passer en dix minutes à la jubilation intense qui, pour plus positive qu’elle soit, n’en empêche pas moins le sommeil du valeureux jeune homme qui venait de le trouver mais c’est pas grave, il a des Pratchett à finir de commencer.
Et donc, dans ses phases jubilatoires, le gosse de deux ans a soif de découverte: il a déjà découvert la marche, puis, à la même époque, le théorème de la gravitation universelle. Il s’attaque maintenant à la linguisitique. Il est à noter que le gosse de deux ans procède selon le système de l’expérimentation: il accole deux ou trois syllabes et regarde si le résultat est satisfaisant. Il s’adresse donc à sa voisine de siège, qui doit être sa mère (parce que si c’est son amante, y a quand même une sacrée différence d’âge), la regarde fixement et lui tient à peu près ce langage: “xluba!”
Aucune réaction, il se dit que son interlocutrice doit être absorbée dans quelque reflexion sur la pensée post-hégelienne et répète un peu plus fort: xluba! Puis, inlassablement, il répète ce même mot de plus en plus fort. S’il a de la chance, il se trouve un hongrois ou un moldave dans le train pour lui répondre. Si le hongrois ou le moldave ont de la chance, sa mère possède un bâillon. Au bout de quelques instants, 1 heure ou deux, il se dit que son mot ne veut rien dire et, déçu du manque d’imaginativité linguistique, tente une tentative. Jusqu’au moment où il fait une association plus heureuse: Ga-Ya! “oui”, lui répond alors sa génitrice, “en effet, la Gare de Lyon est magnifique en cette saison même si elle n’est pas ornée de thuyas” Car les mères de gosses de deux ans disposent d’une capacité de traduction impressionnante.
Moralité: la prochaine fois, je penserai à acheter des piles neuves.