La stratégie Gender

February 6th, 2014

Durant les prémices de la Préhistoire, l’humain exerçait assez unanimement le plus vieux métier du monde : chasseur-cueilleur.
On n’avait pas encore très bien compris comment ça marchait, la reproduction, mais on maîtrisait déjà assez bien la première partie, la plus rigolote, celle qui est à la base de la moitié de l’internet. Du coup, la part féminine de la population passait le plus clair de son temps à être enceinte ou jeune maman. Cela amena assez vite à comprendre un truc: si on veut assurer la survie de l’espèce, il faut garder en vie les femmes le plus longtemps possible, vu que c’est elles qui assurent. Alors tu me diras : mais pourquoi absolument vouloir que l’espèce survive alors qu’y a plus rien à manger ? Ça, c’est de la faute à Darwin. Ceux qui ne voulaient pas ont gardé leur bagage génétique pour eux.
A l’époque, donc, on envoyait les mecs faire les trucs dangereux, genre la chasse, un mammouth perdu est si vite arrivé, pendant que les femmes étaient occupées à essayer d’éviter de mourir en couches. Parfois, sur la trace de quelque troupeau d’aurochs, ils restaient absents jusqu’à plusieurs jours.

C’est dans ce contexte-là qu’un jour, un certain Ugggruhr le chenu lança :
– Vous trouvez pas, quand même, que les gonzesses elles font chier ?

Il venait d’inventer le sexisme.

– Non, ça va », lui répondit-on tout de go.

Vexé, Ugggruhr tenta d’argumenter.

– Non mais par exemple, elles disent toujours : « c’est ton tour d’aller faire la vaisselle ».
– Ben non, seulement quand c’est ton tour.
– Ouais mais quand même, moi j’aime pas trop, ça abîme les mains, j’ai des doigts fragiles et gracieux.
– C’est pour ça que tu viens de rater un okapi musqué ?
– Oh et puis, par exemple, leur invention du feu !
– Ben quoi, c’est super, le feu. Sacré progrès. Je sais plus comment on faisait pour s’en passer.
– Ouais mais bon, passer trois heures à frotter deux bâtons l’un contre l’autre pour voir ce qui se passe, c’est pas un peu bizarre, comme idée ? Faut pas être super normale, quand même, pour faire ça.
– Je m’étais jamais trop posé la question, mais bon, c’est hyper pratique pour faire cuire l’antilope.
– Ugrurrrrra elle la cuit toujours trop.
– C’est vrai.
– Quoi ? Tu critiques la cuisine de ma meuf ?
– Ta quoi ?
– Ugrurrrrra c’est ma meuf. Ça veut dire qu’on ne pratique l’accouplement que les deux, surtout elle, sinon je lui casse la gueule.
– Quoi ? Que les deux ? Mais c’est vraiment pervers, ton truc.

Inutile de dire qu’Ugggruhr se sentait incompris. Un jour, il lâcha donc ces paroles historiques : « Ouais ben de toutes façons je m’en fous, personne ne m’aime alors je vais fuguer ! »

Mais partout où il débarquait, on finissait par dire « Oh purée, le nouveau avec ses idées de fada, il serait pas un peu zimboum ? » Car les idées novatrices mettent du temps à s’implanter. Il fallut de nombreux siècles pour qu’un jour, alors que les anciens racontaient en riant l’histoire tragique d’Ugggruhr le zimboum, l’on commence à se dise « Oh ben tiens, je sauterais bien mon tour de vaisselle, ce soir, tiens, et j’ai bien envie d’inventer le zeugma dans la foulée », puis, de fil en aiguille, que l’on repense de fond en comble l’organisation sociale et, enfin, que l’on invente la jupe à froufrous, le gloss extrême brillance et le harcèlement de rue.

It’s complicated

February 4th, 2014

Aujourd’hui, Facebook a dix ans. Beaucoup plus que, par exemple, Caramail, voyages-sncf.fr ou exhibamateur.com, le réseau social de Marc Montagnedesucre a durablement changé la face du monde depuis sa création. A titre de comparaison, tout ce que Bon pour ton poil a réussi à accomplir, en presque onze ans, c’est un bouquin auto-édité.

Car Facebook a considérablement modifié la vie de ses utilisateurs, comme nous allons le voir avec les témoignages suivants.

Ignazia Fonjallaz, misanthrope
« Mon arrivée sur Facebook a été un grand moment. Autrefois, j’avais le sentiment, l’intuition, que les gens étaient des cons. Désormais, j’en avais la certitude. Je passe encore sur les parents qui, soudain, se sentent obligés de s’exprimer comme s’ils avaient le même âge que leur nouveau-né. On peut leur pardonner. Le manque de sommeil. Mais les autres. Ceux qui sont en représentation permanente. Ceux qui s’indignent vingt fois par jour. Ceux qui se sentent obligés de venir commenter le moindre statut avec une blague désopilante. Ceux qui relaient la moindre rumeur, sans jamais user de leur cerveau. Ceux qui, une fois la rumeur démentie, accusent les médias d’être responsables de leur absence total de sens critique. Les lanceurs de moutons, les acharnés de Candy Crush. Tous. Je les haïssais cordialement. Et puis, un jour, j’ai découvert que ce sentiment était partagée. Quelle joie ! J’ai découvert un groupe secret, havre de haine, où d’autres misanthropes se réunissaient pour déverser leur bile. Nous avons commencé à organiser des rencontres, régulières. C’est là que j’ai fait la connaissance de Predrag, mon époux. Nous avons tant de choses en commun. Nous allons régulièrement dans des restaurants dégueulasses, pour pouvoir ensuite les descendre en flamme sur TripAdvisor. Nous n’allons voir que des films français. Nous avons trois enfants, d’une laideur abyssale. »

Egoyan Chobaz, employé de bureau
« Avant Facebook, je m’emmerdais. Je faisais des petites statuettes en trombones. Heureusement, ce temps-là est bien fini. Je ne m’ennuie plus jamais au travail. Ni dans le bus. Ni en voiture. Ni quand je me lève au milieu de la nuit pour aller aux toilettes. Chaque instant, je peux le mettre à profit pour poker, liker. Parfois même pour lire un article. Quel progrès ! »

Marcella Ramirez, preneuse d’otages
« Vous savez, mon métier est encore trop mal considéré. Surtout pour une femme ! Peu de gens savent reconnaître une belle prise d’otages artisanale. Les médias, il faut le dire, sont souvent de parti pris quand ils parlent de nous. Et du coup, souvent, je doute, je me demande si c’était un bon choix de carrière.
Le rapport avec Facebook ? Bien, voyez-vous, je lisais, l’autre jour, cet article qui critiquait les réseaux sociaux, il paraît que selon une étude américaine, ça rend bête et allergique au ketchup. Toute la journée, des gens l’ont partagé. C’est amusant, parce que ces gens, je venais de les prendre en otage et on s’était ajoutés en amis, mais je sentais qu’ils étaient un peu distants vis à vis de moi. Et justement, le fait que plus les gens passent leur temps sur Facebook, plus ils aiment en dire du mal, ça m’a redonné pas mal de foi en ma profession. Parce que rien, dans la prise d’otage traditionnelle, n’est plus beau qu’un beau syndrome de Stockholm ! »

Hjjrun Dubey, narcissique
« Facebook ? C’est ringard. C’était bien en 2009, quand ils ont ajouté le bouton like. Désormais, je vais sur Instagram. Vous avez vu ce coucher de soleil ? 143 personnes l’ont <3é. Moi, je ne suis pas du genre à me vanter, mais quand même, ce n'est pas tout le monde qui voit des aussi beaux couchers de soleil. »

Kundun Beuchat, humoriste
« Fessebouc ? Je déteste ! Regardez, ce matin. J’apprends la mort de Philip Seymour Hofmann. Un acteur, je crois, ou un footballeur. Vite, je poste “Philipe, C’est mort !!!” Quelqu’un l’avait déjà faite. »

Testuya Apothéloz, community manager en recherche d’emploi
« Je fais un métier qui n’existait pas il y a dix ans. Tous les jours, je gère ma communauté. C’est énormément de travail. Un like pour montrer que je suis réactif. Un commentaire pour faire preuve de rebondivité. Très important. Je ne manque jamais d’y ajouter trois hashtags. Je suis d’ailleurs l’inventeur du hashtag #parfoislesoirjemangedesfruitsmaispastoujours. Alors vous allez me dire, le hashtag, c’est plus twitter. Mais il faut savoir faire preuve d’interconnectivité multiplateformiale. A ce propos, je ne manque jamais un “apéro”, ces événements sociaux où des utilisateurs des réseaux sociaux se retrouvent IRL pour faire du networking et parfois des interactions interpersonnelles intergénitales. Très important, pour le branding, quelqu’un qui n’a pas couché avec au moins huit personnes de sa communauté n’existe pas, il faut le savoir. Il y a dix ans, on appelait ça glander et se bourrer la gueule. C’était le Moyen-Âge. »

Bonaventure Perretgentil, titreur
« Ah, ça, je m’en souviens, comme on me moquait, jadis ! « Les titres, c’est un détail, l’important, c’est le contenu ! » Je leur répondais « un jour, vous verrez, plus personne ne s’intéressera au contenu ! Plus personne ! Plus personne ! Gnahahaha ! Bien fait ! » Ils me riaient au nez, ils me traitaient de fou. Vous avez vu passer cet article, la semaine dernière, « Ivre, une femme nue maltraite des bébés chiots sous les yeux de Justin Bieber, temps de lecture estimé trois minutes » ? Ça parlait des championnats d’Auvergne d’haltérophilie, une bête erreur de typo. »

Athanagor Mudry, météorologue
« Ça, ma petite dame, on peut dire que les réseaux sociaux ont fait beaucoup pour la reconnaissance de la profession… Oh ! Attention, derrière toi ! L’anticyclone des Açores ! »

Evarista Berlincourt, philosophe et graphiste amatrice
« Nous faisons ça de père en fille. Regardez, c’est un chaton qui dit « un sourire ne coûte rien mais il enrichit beaucoup ». Mon grand-père l’a réalisé sur carte postale. Ça n’a jamais vraiment marché. Il fallait renvoyer la carte postale à dix de ses amis, c’était compliqué. Mon père, lui, créait du pps traditionnel, avec les animations. On se les envoyait par mail. C’était le bon temps. Il est aussi un pionnier du gif animé traditionnel français. Mais cet art avait bien failli se perdre. Heureusement, Facebook a bien relancé nos affaires. 99 personnes sur 100 n’auront pas le courage de partager ça sur leur mur !!! Et toi ? »

Horst Dévanthéry, timide
« Jadis, pour moi, la séduction était une chose difficile. Je me souviens, par exemple de cette fille pour qui j’avais eu un petit coup de foudre sur Caramail: kikinou72. En trois mois d’utilisation de ce chat, puisqu’il faut appeler un chat un chat, c’était la première personne à ne pas m’ignorer ! Je me souviens encore de notre conversation : je lui avais dit “salut” et elle m’avait répondu “cc sa va”. Jamais je n’oublierai ces mots. Car ce furent les derniers que nous échangeâmes : je ne la connaissais pas, elle ne me connaissait pas, je ne savais pas trop quoi lui dire. Son profil, sous une très belle photo d’ange devant un clair de lune, m’indiquait qu’elle aimait les amis, les sorties et la musique, et qu’elle n’aimait pas les hypocrites, la pluie et la tristesse. Je me sentais en phase avec elle. Je réfléchissais encore à la façon de bien entamer la conversation avec cette jeune fille sensible et sophistiquée, quand je reçus cette notification : kikinou72 vous a ignoré(e).
Lorsque je découvris Facebook, un beau jour d’automne 2007, il en alla tout autrement. A l’époque, nous n’étions pas si nombreux que ça à être connectés sur le fameux réseau social. Je décidai d’ajouter à mes amis tous mes anciens camarades de classe: ils n’avaient pas de compte. Je décidai alors d’ajouter à mes amis toutes mes ex: je n’en avais pas. Je décidai alors d’ajouter à mes amis un peu n’importe qui que je connaîtrais un peu, même vaguement. Par exemple Isaline Creuteuf, la fille d’une amie des cousins de mes parents, que j’avais rencontré une fois à un enterrement. Elle refusa ma demande. Pendant de longs mois, je passai mon temps à lancer des moutons à Fiodor Dévanthéry, mon chat, pour lequel j’avais créé un compte. Puis un jour arriva la superbe Semilia Frouchaux, dont j’avais longtemps été amoureux, en 6e primaire on avait été en classe verte et on avait joué à action ou vérité, elle m’avait dit qu’elle était amoureuse d’un garçon de la classe et je n’avais pas osé lui demander si c’était moi et j’avais bien fait, ce n’était pas moi. Et voilà qu’aujourd’hui, c’est elle qui me demande en amitié, après toutes ces années ! Sept ans plus tard, je n’ai pas encore osé lui parler de mes sentiments, mais je ne manque jamais de liker ses changements de situation amoureuse. »

Nadal surf

January 26th, 2014

Ce dimanche, Stanislas Wawrinka a remporté le premier tournoi du Grand Chelem de sa carrière, entrant ainsi dans le cercle très fermé des joueurs ayant remporté le premier tournoi du Grand Chelem de leur carrière ce dimanche. Avant ce succès, Stan est longtemps resté dans l’ombre du meilleur joueur de tennis de Suisse, du monde et de tous les temps, Roger Federer. Une rivalité mêlée d’admiration à laquelle Eminem avait consacré une émouvante chanson, Stan.

Eminem ft. Dildo – Stan

My tea’s gone cold, I’m wondering why I got out of bed at all

Mon thé est froid, je me demande pourquoi je suis sortie du lit
Parce que c’est vrai qu’une finale à 9h30, un dimanche, c’est un peu tôt.

The morning rain clouds up my window and I can’t see at all

La pluie du matin embue ma fenêtre et je ne peux rien voir

And even if I could it’ll all be gray but your picture on my wall

Et même si je pouvais, tout serait gris mais ta photo sur mon mur

It reminds me, that it’s not so bad, it’s not so bad

me rappelle que tout ne va pas si mal, tout ne va pas si mal
Dans ce “sample”,comme disent nos amis les rappeurs, on entend une jeune fan de Federer, inconsolable après la défaite de Roger Federer en demi-finales contre Nadal, alors qu’elle devrait commencer à avoir l’habitude, mais bon, vous savez ce que c’est, on se dit « cette fois, ça va passer » et en fait, ça passe pas, en plus il fait gris, il fait froid. Mais elle se souvient de ce type, là, elle l’avait vu une fois à une manifestation de Swiss Tennis, Federer avait pas pu venir, comment il s’appelait, déjà ? Wowronec ? Bon, il était sympa, il lui avait offert une photo dédicacée. Ben apparemment, il serait en finale. Donc c’est pas si mal, pas si mal. Enfin, mieux que rien, quoi.

[Verse 1]

Dear Slim, I wrote you but you still ain’t callin’

Cher Maigre, je t’écris mais tu ne m’appelles pas
Il s’agit d’un document exclusif, mis en musique par Eminem : une lettre écrite par Wawrinka à son idole Federer. Il essaie de ne pas faire preuve de trop de déférence, alors il se moque un peu du physique, mais tout de même on sent une légère, très légère, adulation.

I left my cell, my pager and my home phone at the bottom

J’ai laissé mon numéro de portable, mon page et mon numéro de téléphone à domicile en bas
On apprend également, au passage, l’identité de la seule personne à avoir jamais acquis un pager.

I sent two letters back in autumn, you must not’ve got em
There probably was a problem at the post office or something
Sometimes I scribble addresses too sloppy when I jot em

J’ai écrit deux lettres en automne, tu ne dois pas les avoir reçues, il y a probablement eu un problème avec la Poste ou quoi, des fois j’écris pas très très bien les adresses
Non mais ça arrive, les problèmes avec la Poste, une fois, j’avais écrit un poème à une fille (non mais ça va, c’était y a longtemps), elle avait jamais répondu, salope de Poste.

But anyways, fuck it, what’s been up man, how’s your daughter
My girlfriend’s pregnant too, I’m bout to be a father

Mais bon, on s’en fout, ça va mec ? Et ta fille ? Ma copine est enceinte aussi, je vais être papa.
Apprenant la paternité de Federer, Wawrinka se dit tiens, bon, tennistiquement, je suis encore loin de lui mais là, au moins, je peux rivaliser. Mais là où le maître avait une paire de jumelles, son disciple n’a qu’un monocle.

If I have a daughter, guess what Imma call her, Imma name her Bonnie

Si j’ai une fille, devine comment je vais l’appeler ? Je vais l’appeler Bonnie !
En hommage à la célèbre joueuse de tennis Bonnie Gadusek.

I read about your Uncle Ronnie too, I’m sorry
I had a friend kill himself over some bitch who didn’t want him

J’ai entendu parler de ton oncle Ronnie, je suis désolé, j’ai un ami qui s’est suicidé à cause d’une désillusion amoureuse
Stan idolâtre Federer, d’accord, mais il le confond probablement avec quelqu’un d’autre

I know you probably hear this every day, but I’m your biggest fan
I even got the underground shit that you did with Skam
I got a room full of your posters and your pictures, man
I like the shit you did with Rawkus too, that shit was phat
Anyways, I hope you get this man, hit me back
Just to chat, truly yours, your biggest fan, this is Stan

Je sais que tu entends ça tous les jours, mais je suis ton plus grand fan, j’ai même cette merde underground que tu as faite avec Skam, j’ai une pièce pleine de tes posters et photos, mec, j’aime aussi la merde que tu as faite avec Rawkus, c’était trop bien, bref, j’espère que tu auras ça, rappelle-moi, juste pour causer, sincèrement, ton plus grand fan, c’est Stan
Stan est tellement fan de Roger qu’il est même au courant pour ce tournoi exhibition de double mixte avec une haltérophile lituanienne à Pattaya.

[Hook]

Crochet

[Verse 2]
Dear Slim, you still ain’t called or wrote; I hope you have a chance
I ain’t mad, I just think it’s fucked up you don’t answer fans
If you didn’t wanna talk to me outside the concert
You didn’t have to, but you coulda signed an autograph for Matthew
That’s my little brother man, he’s only six years old
We waited in the blistering cold for you for four hours and you just said no
That’s pretty shitty man, you’re like his fucking idol
He wants to be just like you man, he likes you more than I do
I ain’t that mad though, I just don’t like being lied to

Cher Maigre, tu n’as ni appelé, ni écrit, je ne suis pas en colère, je trouve juste que ce n’est pas très sympa de ne pas répondre aux fans, si tu ne veux pas me parler après le concert, tu ne dois pas mais tu pourrais au moins signer un autographe pour Matteo, c’est mon petit frère, mec, nous t’avons attendu dans le froid pendant des heures et tu as dit non, c’est fort peu civil, mon gars, tu es son idole, il veut être comme toi, il t’aime encore plus que je t’aime, je ne suis pas en colère, mais j’aime pas trop trop qu’on me mente, t’as vu
Stan devient alors incohérent : il confond matches et concert et surtout, il ne se rappelle plus très bien des noms des membres de sa famille.

Remember when we met in Denver
You said if I’d write you, you would write back

Tu te souviens, quand nous nous étions rencontrés à Denver, tu m’avait dit que si je t’écrivais tu me répondrais
Au deuxième tour du tournoi de Denver, Federer avait battu Wawrinka en deux sets, c’était le bon vieux temps. Puis, à l’heure du serrage de mains, il lui avait dit : « Ouais, ouais, écris-moi, je pourrai t’arranger un cours de tennis ou au moins un DVD de mes meilleurs coups. »

See, I’m just like you in a way
I never knew my father neither
He used to always cheat on my Mom and beat her

Tu vois, je suis un peu comme toi, je n’ai jamais connu mon père, il trompait ma mère et la battait
Mais enfin, c’est parfaitement faux ! il s’appelle Wolfram, il était dans l’Illustré !

I can relate to what you’re saying in your songs

Je peux m’identifier à ce que tu dis dans tes chansons
Car Federer, on le sait peu, adore chanter sous la douche

So when I have a shitty day, I drift away and put ’em on
Cause I don’t really got shit else, so that shit helps when I’m depressed
I even got a tattoo of your name across the chest

Alors quand je passe une mauvaise journée, je les écoute, le reste m’importe peu alors ça m’aide en cas de déprime. J’ai même ton nom tatoué sur la poitrine
Mais enfin, Stanislas, vous perdez la raison ! Ton tatouage, c’est sur le bras et ça dit « Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better », c’est pas hyper sympa de prétendre que Fail better, ça veut dire Federer.

Sometimes I even cut myself to see how much it bleeds
It’s like adrenaline, the pain is such a sudden rush for me
See everything you say is real, and I respect you cause you tell it
My girlfriend’s jealous cause I talk about you 24/7
But she don’t know you like I know you Slim, no one does
She don’t know what it was like for people like us growing up

Parfois, je me coupe pour voir à quel point ça saigne. C’est comme de l’adrénaline, la douleur me booste, tu vois, tout ce que tu dis es vrai, je te respecte parce que tu le dis, ma copine est jalouse parce que je parle de toi tout le temps. Mais elle ne te connaît pas aussi bien que moi, Maigre, personne ne le fait, elle ne sait pas comment les personnes comme nous grandissent
Car oui, on le dit trop peu mais l’existence des joueurs de tennis est faite de sacrifices.

You gotta call me man, I’ll be the biggest fan you’ll ever lose
Sincerely yours, Stan
P.S. We should be together too

Tu vas m’appeler, mec, je serai le plus grand fan que tu vas perdre. Sincèrement, Stan. PS : Nous devrions être ensemble.

Au passage, Stan rappelle à Roger qu’il serait pas contre une petite Coupe Davis avec lui.

Dear Mr. I’m-Too-Good-to-Call-or-Write-My-Fans
This’ll be the last package I ever send your ass
It’s been six months and still no word, I don’t deserve it ?
I know you got my last two letters, I wrote the addresses on ’em perfect
So this is my cassette I’m sending you, I hope you hear it

Cher M. Je-suis-trop-bien-pour-appeler-ou-écrire-à-mes-fans, c’est la dernière fois que j’écris à ton cul. Six mois et pas un mot, je ne le mérite pas ? Je sais que tu as eu mes deux dernières lettres, je me suis bien appliqué pour l’adresse, avec des coeurs sur les i et tout, je t’envoie une cassette, j’espère que tu l’entendras
Soudain, Stan pète méchamment les plombs et envoie une compil’ à son idole. Sur cassette, alors que tout le monde a des baladeurs MP3 de nos jours.

I’m in the car right now, I’m doing 90 on the freeway

Je suis dans la voiture, je fais du 90 sur l’autoroute
Ah ben oui, moquez-vous, moquez-vous, mais dans le canton de Vaud, c’est super rapide.

Hey Slim, I drank a fifth of vodka, you dare me to drive

Hé, Maigre ! J’ai bu deux décis de vodka et tu me laisses conduire ?
Soudain, lassé de voir son idole ne pas lui répondre, Stan fait quelque chose de terrible, d’horrible, d’affreux : il décide de s’entraîner avec Marc Rosset.

You know the song by Phil Collins “In the Air of the Night”
About that guy who coulda saved that other guy from drowning
But didn’t, then Phil saw it all, then at a a show he found him

Tu connais la chanson de Phil Collins “Dans l’air de la nuit” ? A propos de ce mec qui aurait pu sauver un autre de la noyade, mais en fait non et Phil a tout vu et après il l’a trouvé ?
Je veux pas parler pour Roger, mais ça donne pas tellement envie d’écouter ta compil.

That’s kinda how this is, you coulda rescued me from drowning
Now it’s too late, I’m on a thousand downers now, I’m drowsy
And all I wanted was a lousy letter or a call
I hope you know I ripped all of your pictures off the wall
I loved you Slim, we coulda been together, think about it
You ruined it now, I hope you can’t sleep and you dream about it
And when you dream, I hope you can’t sleep and you scream about it
I hope your conscience eats at you and you can’t breathe without me
See Slim, shut up bitch, I’m tryna talk
Hey Slim, that’s my girlfriend screamin’ in the trunk
But I didn’t slit her throat, I just tied her up, see I ain’t like you
Cause if she suffocates she’ll suffer more and then she’ll die too
Well gotta go, I’m almost at the bridge now
Oh shit I forgot, how am I supposed to send this shit out

C’est un peu la même chose, tu aurais pu me sauver, maintenant c’est trop tard, j’ai pris des tranquillisants, je suis endormi, tout ce que je voulais c’était une lettre ou un coup de fil. J’espère que tu sais que j’ai arraché toutes les photos du mur, je t’aimais, Maigre, nous aurions pu être ensemble, penses-y, tu as tout gâché, j’espère que tu ne peux pas dormir et que tu en rêves et quand tu rêves, j’espère que tu ne peux pas dormir et que tu cries, j’espère que ta conscience te bouffe et que tu ne peux pas respirer sans moi, tu vois, Maigre, ta gueule, je parle, hé Maigre, c’est ma copine qui crie dans la trompe, mais je n’ai pas tranché sa gorge, je l’ai juste attachée, tu vois, je ne suis pas comme toi, parce que si elle étouffe, elle souffrira plus et elle mourra aussi. Bon je dois y aller, je suis près du pont. Oh zut, j’ai oublié comment envoyer cette merde !

C’est quand même un tout petit peu une drama queen, le Stan. Tout ça pour un refus de jouer en double…
Rassurez-vous tout de même : depuis cette croustillante anecdote, Stan et sa compagne s’entendent mieux.

[Hook]

[Verse 4]

Dear Stan, I meant to write you sooner but I just been busy

Cher Stan, je voulais t’écrire, mais j’étais très occupé
Ça peut avoir l’air d’une excuse, mais il faut savoir qu’à l’époque, Federer était très occupé à gagner ses tournois. Un jour, il a décidé d’arrêter et Mirka lui a rappelé ce fan un peu lourd qui l’agonissait de lettres.

You said your girlfriend’s pregnant now, how far along is she
Look, I’m really flattered you would call your daughter that
And here’s an autograph for your brother, I wrote it on a Starter cap
I’m sorry I didn’t see you at the show, I musta missed you
Don’t think I did that shit intentionally just to diss you
But what’s this shit you said about you like to cut your wrists too?
I say that shit just clowning dog, come on, how fucked up is you
You got some issues Stan, I think you need some counseling

Tu dis que ta copine est enceinte, de combien de mois ? Ecoute, je suis flatté que tu appelles ta fille come ça et voilà un autographe pour ton frère, sur une casquette de démarrage. Je suis désolé de ne pas t’avoir vu au show, j’ai dû te rater, ne pense pas que j’ai fait cette vilennie pour t’enquiquiner. Mais que me chantes-tu là, à propos de tes poignets ? Je dis que c’est un chien-clown, allons, allons, ne serais-tu pas déraisonnable ? Tu as des soucis, Stan, je pense que tu as besoin de conseils !
Suite à cette missive, Stan a décidé de changer d’entraîneur.

To help your ass from bouncing off the walls when you get down some
And what’s this shit about us meant to be together
That type of shit’ll make me not want us to meet each other
I really think you and your girlfriend need each other
Or maybe you just need to treat her better
I hope you get to read this letter, I just hope it reaches you in time
Before you hurt yourself, I think that you’ll be doing just fine
If you relax a little, I’m glad I inspire you, but Stan
Why are you so mad
Try to understand, that I do want you as a fan
I just don’t want you to do some crazy shit
I seen this one shit on the news a couple weeks ago that made me sick
Some dude was drunk and drove his car over a bridge
And had his girlfriend in the trunk, and she was pregnant with his kid
And in the car they found a tape, but they didn’t say who it was to
Come to think about it, his name was, it was you, damn

Pour aider ton cul à rebondir quand tu tombes des murs ! Et que viens-tu me dire que nous devrions être ensemble ? Cela ne m’incite pas à te rencontrer ! Je pense que toi et ton amie avez besoin l’un de l’autre et que tu devrais la traiter mieux ! J’espère que tu liras cette lettre, que tu la recevras à temps avant de te blesser, j’espère que ça ira si tu te détends un peu. Je suis heureux de t’inspirer, mais Stan, pourquoi es-tu si foufou ? Essaie de comprendre que je ne veux pas de toi comme fan car je ne veux pas que tu fasses des folies. L’autre jour, un type bourré est tombé d’un pont avec sa copine enceinte d’un enfant, rends-toi compte, d’un enfant, et en plus il y avait une cassette dans la voiture, une cassette, mais dans quel monde on vit, ils n’ont pas dit pour qui elle était, mais j’y songe, son nom était, mais ça alors, comme par hasard, c’était toi ! Quelle étrange coïncidence !
Bon, en fait, non. C’était quelqu’un d’autre.

C’est une très belle chanson, porteuse d’espoir : celui que le type à qui vous avez écrit un jour et qui ne vous a jamais répondu sera bien attrapé le jour où vous serez devant lui. Bon, moi, c’était ma correspondante australienne alors ça va me faire une belle jambe, mais tout de même.
En revanche, j’ai l’impression que Roger n’est pas super chaud à l’idée de rejouer la coupe Davis. Et ça, c’est un peu triste, parce que c’est une chanson belle, mais mélancolique.

Tout ce qui est Legolas porte un joli nom

January 13th, 2014

Soudain, l’impétueuse Gunda me convoqua dans son bureau.
– Dis, je ne comprends pas quel rôle tu joues au juste sur ce blog”, dis-je à mon ancienne community manager imaginaire qui m’avait jadis quitté pour refaire sa vie avec un blog à succès.
– Ne change pas de conversation ! J’ai lu ton dernier post, là. Alors tu crois que c’est ça, l’humour ? Du pain, du fromage ?
– C’était du jambon.
– Non, l’humour ce n’est pas ça. L’humour c’est dire avec le rire ce qu’on ne pourrait pas dire autrement, l’humour, c’est s’engager, c’est dénoncer.
– Oh non, je laisse ça aux Français. Moi, tu sais, j’aurais bien trop peur de rire pour des idées n’ayant plus cours le lendemain.
– Mais enfin, il y a des combats pour lesquels il est beau de s’engager. La lutte contre l’antisémitisme, contre le sexisme.
– Oh mais les gens qui me lisent sont intelligents, et les gens intelligents ne sont pas antisémites…
– …tu perds ton sang-froid !
– …ni sexistes.
– Comment oses-tu dire ça alors que ta community manager imaginaire est, comme par hasard, une femme splendide aux formes affriolantes et au décolleté vertigineux ?
– Oui, alors le décolleté, je voulais t’en parler, tu devrais te couvrir. Pour le reste, franchement, tu n’as jamais été trop mon genre.
– Alors c’est ça, tout de suite, parce que je suis une femme, je devrais correspondre à tes canons !
– Mais enfin, Gunda.
– Mais enfin ! Mais enfin ! Alors voilà, tout de suite, le paternalisme !
– Mais non, mais pas du tout, mais c’est…
– Tout de suite, le mansplaining ! Tu imagines que tu sais mieux que moi ce qu’est le sexisme.
– Bon, bon, ne t’énerve pas…
– Oui oh, c’est facile, ça. Je m’énerve parce que j’ai mes règles, c’est ça ?
– Mais enfin, Gunda, tu as 7 ans ! Bon. Je vais bien trouver un truc, mais quoi ?
– Mais le monde regorge de causes pour lesquelles s’engager. Les nazis. La pollution. La pêche en haute mer. La viande.
– Je n’y connais rien.
– Oh mais ce n’est pas ça qui est important, c’est que tout le monde soit d’accord avec toi. Pour que les gens partagent sur Facebook en disant “Tellement vrai !!!”
– Les chats ?
– Non, arrête avec ça.
– Ah, je sais ! Bilbo ! Il y a une demi-heure de scènes d’action inutiles, dans ce film.
– Ce n’est pas engagé, ça !
– Mais si, c’est de l’antihobbitime primaire de penser qu’il faut absolument aller chercher Legolas pour jouer les clowns. Et même, j’ai trouvé ça un peu antielfiste, les réduire comme ça à ce rôle…
– Non. Arrête. Un vrai combat.
– Laisse-moi, je sens que je tiens un truc, là. Alors comme ça, ça a l’air anecdotique, on me dira qu’il y a d’autres combats plus importants, c’est toujours facile de minimiser les luttes des autres, mais moi j’ai le courage de dire tout haut que ce monde où on estime que pour tenir en haleine les spectateurs pendant trois heures, il faut absolument faire sauter un mec de branche en branche me répulse, car c’est faire peu de cas de l’intelligence et d’ailleurs, pourquoi absolument vouloir que ça dure trois heures ? Pourquoi prolonger ainsi cette histoire ? Hé bien parce que pendant ce temps-là, on ne réfléchit pas aux vrais problèmes de la société tels que par exemple le fait que les gens ne réfléchissent plus aux vrais problèmes de la société, et ça arrange bien nos politiciens ! Avec la complicité des journalistes ! Et tout ça aux frais du contribuable, bien sûr.
– Bon ben, c’est un début.
– Tu ne me feras pas taire.
– Non, pas du tout, je…
– Oh, oui, c’est facile de rire, c’est facile de dire pas du tout je, on disait la même chose à Voltaire et à Zaz, mais je dirai ce que j’ai sur le coeur !
– Bon, bon, d’accord.
– Oui donc, voilà, il y a une bonne demi-heure de scènes d’action inutiles dans le Hobbit.
– Ouais, pas faux.
– Tiens, trois minutes déjà que j’ai publié ce post et aucun like.
-Evidemment. Ils veulent te faire taire. Tu déranges.

Album panini

January 6th, 2014

Peut-être, ce lundi était-il synonyme pour toi de rentrée. Peut-être, après des semaines de bombance, t’es-tu rabattu sur ce grand classique de l’alimentation des classes travailleuses, le sandwich au jambon.
Non mais un bon, hein, avec du beurre, de la moutarde, de la salade, des cornichons, et même de l’oeuf quand même pas le pauvre baguette rassie – jambon translucide de bas de gamme.
Tout de même, tout de même, tu as eu du mal à être transporté de bonheur par la préparation, pourtant tartinée avec amour par un employé enthousiaste de “à la mie qui vous veut du bien”, la boulangerie-charcuterie au bas de ton travail.

Alors que pour que tu manges ce sandwich, des gens ont risqué leur vie, des gens ont souffert. Y as-tu songé ?

Ca ne m’étonne pas.

Le pain, déjà. De la farine, un peu d’eau, du sel, de la levure. Rien de bien compliqué.
Pour arriver à faire du pain, il a fallu un long cheminement. Quelque part, dans un faubourg de Sumer, le jeune Ugror est en train de moudre des trucs. C’est son hobby, moudre des trucs. Il est un peu pénible avec ça, même. Mais ses parents, qui se sont attachés à lui pour des raisons sentimentales, ne veulent pas le priver de ce petit plaisir. Alors ils lui donnent du grain à moudre : des céréales qu’on ramasse parfois parce que c’est rigolo, ça fait comme du chewing-gum, mais là elles ont séché alors c’est moins bon. Ca fera de mal à personne s’il les réduit en poudre. Puis un jour, Ugror abandonne là sa préparation, et il se met à pleuvoir, et j’aime mieux te dire que c’est pas tous les jours, dans les faubourgs de Sumer. La poudre devient pâteuse. Ugror, au lieu de la jeter aux cochons, la mange. C’est pas très bon et ça donne mal au ventre. De rage, il la fait cuire. Dans les cinq minutes, tout le village, par l’odeur alléché, vient lui demander de lui filer un pain.

Ensuite, le jambon. Ca n’a l’air de rien, comme ça, le jambon. Mais pense à ces gens qui, plus ou moins à la même époque, à deux trois milénaires près, décident de se mettre à élever des animaux. Au début, probablement, ils ont un peu tout essayé. Les chèvres et les moutons, les aurochs, les impalas, les fourmis rouges, les palourdes, les okapis, les outardes, les pandas roux. Plusieurs de ces projets ont été abandonnés parce qu’il n’y a franchement rien à bouffer, sur ces bestiaux, plusieurs autres parce que c’est pas mauvais, mais bon, il vient encore de me bouffer un bras. Et un jour, le jeune Gruur revient avec un petit marcassin trop mignon. C’est son truc. La semaine passée, il avait ramené une fouine, mais elle arrêtait pas de se battre, la précédente un héron, celle d’avant un bousier, aucune de ses tentatives ne sont franchement couronnées de succès. Mais ses parents n’ont pas le coeur de lui dire “ok c’est trop chou, tu ferais de la vue sur Youtube avec ça si toutes ces conneries existaient, mais il va nous ravager les plantations comme tous ceux de sa race, alors je sais pas si c’est bien la peine”. Le jeune marcassin, appelons-le Naf-Naf ou Kookai, ravage tout, l’expérience tourne court, mais Gruur se dit qu’il tient une idée business, il insiste, et un jour, le jambon. Manque de bol, quelques semaines plus tard, un de ses voisins invente la religion et c’en est fini de ces cochonneries.

Ce qui nous amène au beurre. Il a donc fallu inventer l’agriculture et l’élevage, réaliser que ces grosses bêtes, en fait, elles sont plutôt placides, sauf celles qui ne le sont pas. Il a fallu avoir l’idée de les traire. Ca ne vient tout de même pas au premier venu, tout de même. Mais bon, admettons. Pourquoi pas. Ensuite, il faut avoir l’idée de l’écrémer. Là, bon, en période de régime, je ne dis pas, chacun son truc. Puis il faut se dire “tiens, de la crème, si je la barattais”. Je ne suis pas complètement réfractaire à l’idée de jouer avec la nourriture, j’ai un très bon ami cavalier, mais pour avoir l’idée de baratter sa crème, il faut avoir pas mal de temps à perdre.

Pour l’oeuf, c’est un peu le même principe, sauf que là, c’est la poule qui est à blâmer : pondre chaque jour, poussin ou non, c’est un peu irresponsable, comme comportement.

Après tout ça, le cornichon et la feuille de salade, ça n’a l’air de rien. Et pourtant. Avant de se dire “tiens, ça c’est pas très bon mais je vais de ce pas tenter de voir ce que ça donnerait dans du jus de raisis macéré”, il a fallu goûter et essayer des centaines de feuilles, de racines, de rhizomes et de fruits. Je ne sais pas, peut-être, toi, tu es du genre à toujours prendre la même chose sur la carte. Je veux dire, tu as quand même mangé un sandwich au jambon, à midi. Mais les aventureux, ceux qui se sentent obligés de toujours tout goûter, ceux qui adoreraient prendre le tartare, c’est toujours bon, le tartare, mais il y a du filet mignon d’anguille à la carte, c’est pas tous les jours, ceux qui souvent comprennent pourquoi c’est pas tous les jours : leurs ancêtres ont souffert mille maux pour découvrir que non, les petites baies rouges, c’est déconseillé, ou alors seulement poché 3 minutes à 42 degrés exactement.

Et je ne te parle pas de la mayonnaise, car d’une part, la personne qui s’est un jour dit “tiens, j’ai de l’oeuf, j’ai de l’huile, j’ai pas mes règles, je vais tenter d’émulsionner tout ça lol” m’inquiète un peu, d’autre part, “à la mie qui vous veut du bien” est un endroit sérieux, il n’y a pas de mayo dans leurs sandwiches, ni même de place pour la mayo dans leurs vies.

Voilà. La prochaine fois, je t’expliquerai comment un dangereux maniaque s’est un jour dit : tiens, c’est excellent, le brochet ! je vais mélanger ça avec de la farine et de l’eau, ça sera informe et sans goût, on appellera ça quenelle, le système sera bien embêté !

L’être et le néant

December 10th, 2013

Il y avait tellement de brouillard ce matin-là qu’on aurait tout aussi bien pu être mardi matin, personne ne s’en serait rendu compte. Mon collègue darda sur moi son regard mi-énigmatique, mi-grisonnant et me dit tout de go : “T’as vu ce truc ? Pas mal !”, car il ne saisissait pas toute l’intensité dramatique du moment, s’il l’avait fait, il aurait lâché une des ses phrases plus belles qu’un coucher de soleil à Honfleur dont il a le secret, avec des adjectifs et tout le toutim. Mais là, non.

Ah ouais, pas mal, répondis-je, sans laisser paraître le trouble grandissant qui croissait en moi. Car ce truc, ce truc dont il me parlait, c’était le résumé d’un roman, avec des pages et un auteur, dont le pitch épousait suavement les contours d’une oeuvre grandiose que j’étais précisément en train d’écrire (j’avais débuté il y a sept ans et j’approchais dangereusement de la page 7 par la face nord). Alors bien sûr, ensuite, nos trames prenaient des décisions différentes, bien sûr, au final, rien n’était pareil, mais à jamais les gens diraient “ah ouais, ça me rappelle l’histoire que j’avais lue, là, lol, ça parlait de quoi déjà ?”. Pas mal, dis-je, mais au fond de moi pleuvaient les larmes amères de la déception.

Pourtant, c’était vraiment bien, ça parlait de deux jeunes gens amoureux mais leurs familles se détestent, comment tout cela va-t-il finir ?, c’était vraiment très original, mais bon, juste pas assez.

Mais tu sais, ce n’est pas grave, me tança Gunda, ma voix intérieure. Tout a déjà été écrit. Même tout a déjà été écrit, ça a déjà été écrit. Gunda, mets des guillemets quand tu me parles, lui répondis-je, je ne te suis plus. M’as-tu jamais suivie ?, répondit-elle.

Il y avait tellement de brouillard ce matin-là que je ne parvenais pas à réfléchir clairement, à la météo ils avaient dit soleil au-dessus de 700 mètres, inversion de températures, 10 degrés à 1500 mètres, j’aurais pu tout plaquer et partir à 1500 mètres, ou du moins écrire l’histoire d’un type qui plaque tout et part à 1500 mètres, moi je ne pouvais pas, j’avais un coup de fil à passer à 10 heures et les chats à passer chercher à leur leçon de danse, je me retournai et je me dis tiens, j’aurais pu faire un zeugma dans ma dernière phrase, je suis passé à côté, que se passe-t-il ? puis ce fut le temps qui passa.

Mais de toutes façons, qu’aurais-je été faire, à 1500 mètres ? Je n’y connaissais personne.

Alors j’attendis que le brouillard se dissipe, soudain il fut avril et les oiseaux chantèrent, un très vieux blues traditionnel, je crois. J’en étais toujours à la page 7 et c’était bizarre mais personne ne s’en inquiétait outre mesure alors que pourtant, la page 8 était très bonne et que dire de la page 33. Je me dis soudain tiens, pourquoi ne pas écrire l’histoire de toutes ces histoires qui n’ont pas été écrites, à cause de la procrastination, parce que soudain il a été dix heures, le coup de fil, les chats, pas le temps, parce que finalement, à quoi bon ?, parce qu’elles avaient déjà été écrites. Mais l’histoire des histoires qui n’avaient jamais été écrites avait elle aussi déjà été écrite, décidément, décidément.

Alors je me rabattis, comme un aigle, sur mon plan b, quelque chose d’original et qui n’avait jamais été fait, un site internet parodique avec de faux articles de journaux.

Papououtai

November 29th, 2013

Osgor le dendrolague était bien malheureux. Partout, à la télé, dans les journaux, sur Internet, il n’y en avait que pour les pandas roux, les pandas normaux, les dauphins, les quokkas. « Moi aussi », se disait Osgor, « je suis mignon et pelucheux et personne jamais ne parle de moi, que ne me voilà pas bien malheureux ! »
Or, vous le savez, les enfants, il est important pour nos amis les animaux de bien soigner leur personal branding. Trop d’entre eux, faute d’un plan de carrière bien réfléchi, se sont éteints sans qu’aucun blog BD ne s’en émeuve. Osgor décida donc de parcourir le vaste monde à la recherche de la notoriété pour lui et ses congénères.


« je m’en vais parcourir le vaste monde à la recherche de la notoriété pour moi et pour mes congénères, sauf les dendrolagues de Doria, ces losers.

Osgor errait dans les forêts de Papouasie, quand il tomba par hasard sur un spécialiste en consulting qui était venu là se recentrer sur lui même.
– Ouah, un lapin bizarre », s’exclama le spécialiste en consulting.
– Oh, hé, lapin toi-même ! Je suis un dendrolague.
– Dendroquoi ? Ohla mais tu ne vas jamais buzzer sur les réseaux sociaux avec un nom pareil, il va falloir changer ça.
– Justement, vous tombez bien, car j’aimerais revoir mon positionnement stratégique.
– Très bien, je vais analyser ton branding, je reviens vers toi asap.
– Asap, c’est pas de l’indonésien ? Je suis plutôt papouasien, moi.

Le spécialiste en consulting s’en fut à travers la forêt et ne revint jamais (car il savait que les dendrolagues n’ont pas les moyens de se payer ses services). Osgor l’attendit pendant bien des lunes. Il eut le temps de réfléchir à ce que lui avait dit son nouvel ami : peut-être que sa faible notoriété était due à son nom trop peu impactant. Il décida donc qu’il fallait en changer. Il partit pour la Nouvelle-Zélande rencontrer son ami l’aptéryx, qui avait pas mal réussi à se faire un nom en sponsorisant une équipe de rugby et un fruit.

– Ben je sais pas, kangourou arboricole, c’est bien, par exemple ? C’est important, pour nous autres animaux austraux, de tout miser sur les joueurs de Scrabble. Tout le monde aime le Scrabble.
– Je suis pas un putain de kangourou. Les kangourous, ils font des bonds, c’est ridicule.
– Ah oui mais il faut y mettre un peu du tien, il faut savoir faire des concessions.
– J’avais pensé à : L’Intrépide. Ou Lady Gaga.

Osgor le dendrolague s’en revint dans sa Papouasie natale. Mais ses amis ne comprenaient pas où il voulait en venir avec ses histoires de changement de nom. Eux, ce qu’ils voulaient, c’était avant tout grimper aux arbres, manger des feuilles et se reproduire. Le marketing, si ça ne se mangeait pas, ça ne les intéressait pas, disaient-ils, car ils étaient frustes et rétrogrades.

Bien malheureux, Osgor pleurait toutes les larmes de son petit corps pelucheux.

C’est alors qu’il rencontra un célèbre cuisinier, venu se ressourcer.

– Mais enfin, ne pleure pas, petit animal pelucheux ! Tiens, goûte donc à ceci, ça te redonnera le sourire.
– Ça alors, une soupe de haricots froide !
– Ah pas du tout, pas du tout, je comprends la méprise mais il s’agit d’un petit cappuccino glacé de mogettes vendéennes AOC !
– Ça alors, peut-être pourriez-vous m’aider à trouver un nouveau nom ?
– Hé bien… Oui, nous allons partir sur une petite déclinaison de marsupial duveteux et son espuma de sous-bois sur lit de mangrove.

Mais le dendrolague, qui était par nature méfiant, se méfiait. Il décida alors de s’adresser à un spécialiste des réseaux sociaux.

– Ah ben oui, faut pas t’étonner que personne ne te connaisse si tu lagues ! Pense à redémarrer ta box !
– Quoi ?
– Non, rien. Donc. Bon, alors pour te faire connaître, le mieux c’est de faire un bon gros Fail, ensuite, un petit tweet d’excuse pour rassurer ta communauté et le tour est joué, 5000 followers en un tournedos. Est-ce que tu pourrais mordre quelqu’un ?
– Je suis essentiellement feuillivore.
– Ah, tu es vegan ? Pas mal, on va pouvoir travailler là-dessus. Bon. Mais est-ce que tu es sexiste ?
– Ben… je suis un marsupial, seules les femelles portent le petit dans leur poche, chez nous.
– Quoi ? Mais tu te crois encore à l’époque des dendro des cavernes ou quoi ? On est en 2013, merde, je peux pas bosser dans ces conditions.
– Diprotodon. Le marsupial des cavernes ça s’appelle diprotodon.
– Protodon.

Alors Osgor le dendrolague s’en fut. Il décida de fonder une association des animaux mignons injustement méconnus, avec le coati, le pademelon et le dik-dik. Mais les animaux moches injustement méconnus, dont l’oryctérope se fit le porte-parole, trouvèrent ça profondément injuste. Puis, les animaux ni spécialement moches ni particulièrement mignons décidèrent de se mêler à la conversation, on les a beaucoup vus à la télévision ces derniers temps, notamment dans cet impressionnant duo avec Miley Cyrus.

Puis, alors que tout le monde se disputait, Osgor s’exclama “oh, et puis merde”. Tout le monde trouva qu’il avait bien raison et dansa la ronde de l’amitié.

(D’autres contes de Noël du monde entier, avec d’autres animaux malicieux, dans notre ouvrage Le sens du Poil, en vente dans tous les bons internets !!)

Autofriction

November 22nd, 2013

Ce matin-là, il fallait que j’emmène ma voiture chez le garagiste pour un petit contrôle de routine, on n’est jamais trop prudent, à cet âge, et pour ses pneus neige, l’hiver arrivait, les réseaux sociaux étaient formels, trois photos de neige sur Instagram et de nombreuses références à Game of thrones sur Twitter, et c’était amusant parce qu’il m’était arrivé exactement la même chose la semaine précédente, mais le garagiste n’avait pas immédiatement déduit que pour les pneus neige, j’allais avoir besoin de pneus neige. Et c’est une leçon de vie importante que nous apprend cette anecdote, parfois, des choses qui nous semblent évidentes méritent pourtant d’être dites, comme la fois où on m’avait dit “pour venir chez moi, tu descends du métro à Lamarck-Caulaincourt”, mais comme on ne m’avait pas dit de monter préalablement dans le métro, je m’étais perdu.

Le garagiste m’avait dit “elle sera prête à 11 heures 30”, alors j’attendais 11 heures 30. N’importe qui, quand son garagiste lui dit “elle sera prête à 11 heures 30”, attend plutôt 14 heures 52, mais, malgré des années de pannes, je reste naïf en matière de garagistes. 11 heures 30, ça n’a pas l’air d’un rivage si lointain, comme ça, d’ailleurs là il est 10 heures 22, c’est plus proche qu’à l’époque, t’en souviens-tu, ma mie ?, où il était 8 heures 47, le bon vieux temps, mes cheveux ondulaient dans le vent, tu riais, le monde nous appartenait, enfin, c’est bien fini tout ça, là, il est 10 heures 22, tu devrais pas être au boulot ?

Le garage était situé dans l’une de ces zones commerciales construites dans une époque étrange, la fin du XXe siècle, où les gens se déplaçaient uniquement en voiture. Pour se rendre au centre commercial tout proche, il fallait traverser des fleuves de béton hostile. Et c’était un centre commercial. Il n’y a guère que dans les séries américaines que cela peut paraître un horizon réconfortant. Pour les gens normaux, “j’ai quelques heures à tuer, je vais aller au centre commercial” est une phrase à peu près aussi probable que “j’ai un peu faim, je vais me manger le bras gauche”.

D’ailleurs, tiens : quand je suis revenu du centre commercial, t’en souviens-tu ? c’était le bon vieux temps, il était environ 8 heures 49.

Entre-temps, j’avais manqueé de me faire écraser par une automobiliste qui m’avait dit “désolée, désolée, mais quand même, vous auriez pu faire attention, merde, mais quand même, désolée”, je lui avais répondu “non mais y a pas de mal, ça arrive”, c’est la version vaudoise de “non mais c’est à toi de faire attention, connasse”, et pendant ce temps-là, des automobilistes ponctuaient ce passionnant échange de passionnants coups de klaxon, car l’automobiliste est ainsi, il klaxonne, je le sais, j’en serais un moi-même si j’avais des pneus neige.

J’avais aussi visité le centre commercial et fait cette constatation intéressante : soit x le nombre de magasins de vêtements uniquement consacrés à la gent féminine et f(y) la part de vêtements dédiés à la gent masculine dans les magasins de vêtements de type mixte, alors on peut en déduire que les hommes se promènent nus, lors que les femmes portent en permanence 19 couches d’habits.

Puis je suis arrivé au garage, et il restait encore pas mal de temps à tuer, j’aime mieux vous dire. J’aurais pu aller regarder les voitures, mais qui fait ça pour le plaisir ? J’ai imaginé sans complexe un espèce de grand salon où les gens iraient annuellement s’entasser pour regarder les nouveaux modèles de voiture, avec des jeunes femmes ne portant manifestement pas 19 couches de vêtements à côté pour faire ressortir le côté turquoise de la voiture, et j’ai ri de mon audace, un salon de l’auto, tu imagines ?, pourquoi pas aussi des courses de voitures, tant qu’on y est, où vas-tu pêcher des idées pareilles, vraiment, on se demande ! Il restait pas mal de temps à tuer alors j’ai demandé le code du wifi et on me l’a donné, le monde est bien fait. On ne le dit jamais assez, mais Internet, quand on a du temps à perdre, c’est pratique. Je lus un article passionnant sur un village où tous les patients souffrent d’Alzheimer, pas à cause d’une malédiction ou de ce qu’ils mettent dans l’eau, hein, c’est fait exprès !, et je me dis que ça aurait fait un billet de blog intéressant, tiens, je vais le noter quelque part. Seulement, j’étais dans un garage, je ne pouvais pas aller sur des sites de chatons, ça m’aurait un peu gêné. Alors je me suis dit que j’allais travailler, je suis présentement en train d’écrire un roman générationnel, parce qu’aujourd’hui, c’est important que tout soit toujours générationnel, c’est un truc générationnel. Même les quiches, je crois, sont générationnelles, de nos jours. Et gourmandes, mais c’est un autre sujet. Seulement voilà, j’en étais à la scène où le beau professeur de l’université de Harvard revoit Flanagan, son amour de jeunesse, qui l’a quitté pour un vampire, mais la passion qui jadis les animait rejaillit de leurs grands yeux fuchsias, alors ils décident de faire fi du poids des années et, comme au bon vieux temps, leurs corps brûlants de désirs s’unissent vers des cieux où jamais il ne pleut, et ensuite ils baisent, mais comme c’était un passage assez technique de la narration, ça me gênait un peu de l’écrire au milieu des cris de clés à mollette, vous savez ce que c’est, mais savez-vous si mollettes s’accorde avec clés ?, alors je fis autre chose. Je lus un article passionnant sur un village où tous les patients souffrent d’Alzheimer, pas à cause d’une malédiction ou de ce qu’ils mettent dans l’eau, hein, c’est fait exprès !, et je me dis que ça aurait fait un billet de blog intéressant, tiens, je vais le noter quelque part.

Puis il n’était toujours pas 11 heures 30 alors je me dis que j’allais raconter les palpitantes aventures sur mon blog, car elles étaient pleines d’enseignements tels que les pneus neige c’est important, les bébés pangolins c’est joli, ah non tiens, ça ne parlait pas de ça, les garagistes ont le wifi, les centres commerciaux c’est dangereux, enfin, ce genre de choses, puis j’écrivis, puis je sentis que j’approchais du point final, mais il n’était toujours pas 11 heures 30, décidément. Puis je lus un article passionnant sur un village où tous les patients souffrent d’Alzheimer, pas à cause d’une malédiction ou de ce qu’ils mettent dans l’eau, hein, c’est fait exprès !, et je me dis que ça aurait fait un billet de blog intéressant, tiens, je vais le noter quelque part.

Puis il n’y avait aucun lien vers Le sens du poil dans mon dernier post, alors j’en mis un.

Bouts de ficelles

October 22nd, 2013

Partout, les mouvements populistes gagnent en popularité. Bien fait. Ca leur pendait au nez. Une fois qu’ils auront bien prouvé que non, y en a marre de tous ces politiciens corrompus qui ne comprennent pas les vrais problèmes de la population qui souffre ne constitue pas un programme de gouvernement, ils devraient sombrer un moment dans l’anonymat.

Il est donc temps de préparer l’après. Et de déjà lancer l’extrême populisme.

Parce que c’est vrai, quoi. Y en a marre.

Y en a marre de ce temps, déjà. Mais là, bon, on ne peut rien y faire.

Y en a marre des bouchons sur les autoroutes, des trains bondés. Introduisons donc le début de la journée de travail à 10 heures, pour que je puisse être peinard sur la route quand je vais bosser à 7h30.

Y en a marre des riches qui mangent le pain sur notre dos. Interdisons la richesse.

Y en a marre des ces oisifs qui se royaument pendant que les honnêtes travailleurs s’épuisent à la tâche. Mettons donc les chats et les vaches au travail. Y a pas de raison.

Non mais j’étais sérieux, y en a marre de ces oisifs qui se royaument pendant que les honnêtes travailleurs s’épuisent à la tâche. Interdisons donc l’oisiveté et le royaumage.

Mais d’un autre côté, y en a marre de cet état fouineur qui veut nous dire comment vivre, donc n’interdisons pas trop quand même.

Parce qu’y en a marre de tous ces gens qui veulent nous dire quoi penser. Interdisons la pensée.

Y en a marre de la bouffe de la cantine, renvoyons chez eux ces cantiniers étrangers.

Y en a marre que nos impôts servent à financer une culture élitiste alors qu’il y a un très bon film qui passe sur TF1 ce soir.

D’ailleurs, y en a marre que nos impôts servent à financer des routes où je ne vais jamais, des crèches où je ne vais jamais non plus, des policiers alors que je n’ai jamais fait de mal à personne, ou alors par hasard. Faisons payer les routes par les automobilistes, la sécurité par les délinquants, les crèches par les enfants.

En fait, quand je résume, y en a marre des gens. Interdisons-les. Ou alors chez eux, dans leur pays.

Accordons donc le droit à tout un chacun de créer son propre état indépendant, de battre monnaie et de porter drapeau. Et imposons des contrôles stricts aux frontières. Parce que y en a marre de ces étrangers qui nous prennent nos boulots et nos quiches. Et puis ça règlera le problème de tous ces délinquants, chômeurs, cantiniers, animateurs radio, qu’on ne pouvait jusqu’alors pas renvoyer chez eux car ils ne sont pas étrangers.

(et au passage, y en a marre de tous ces gens qui n’ont pas encore Le sens du poil)

Profiterolles

October 17th, 2013

“Il faut profiter”, asséna-t-il soudain. Il avait l’air enjoué, comme le sont souvent ceux de sa race, les présentateurs météo de la radio, mais je sentis une larme de menace vibrer au fond de son regard que j’imaginais purpurin, car j’imagine souvent n’importe comment à potron-minet moins le quart. “Il faut profiter.” Pas il faudrait, pas moi je serais vous c’est ce que je ferais, non, il faut profiter. Une zone de haute pression centrée sur la Tanzanie entraîne des masses d’air chaud dans nos régions, mais gare, les précipitations devraient faire leur retour en deuxième partie de journée dimanche alors profitez, et plus vite que ça, exécution, marche.

J’arrivai sur mon lieu de travail. “Il faut profiter”, dis-je à mon patron. “Vous croyez que c’est en profitant que j’ai réussi dans la vie ?”, me répondit-il.
– Je ne sais pas, mais en tout cas, ils l’ont dit à la radio, il faut profiter, alors…
– Ah mais si c’est la radio, c’est différent… Ils ont bien dit “Il faut profiter ?”, pas “Il faudrait, enfin si j’étais vous, je profiterais” ?
– Non non. Il faut profiter.
– Bon, prenez votre journée, mon petit. J’espère que les autres n’ont pas écouté la radio, il ne manquerait plus qu’ils profitent aussi.

Je pris donc mes cliques et mes claques et partis m’installer sur un banc, les cheveux dans le vent, le regard dans l’horizon, le coeur ouvert à l’inconnu. Le soleil se levait, ses rayons évanescents se moirant dans l’étendue nacrée d’un lac atrabilaire. Seul le gazouillis insouciant des foulques macroules venait troubler la solennité de l’instant.

Je m’emmerdais comme un rat mort.

Je contemplai ces rivages bénis où, jadis, Robert Walser avait inventé l’eau minérale, cette île St-Pierre, sauvage, où Rousseau aimait à se balader et qui lui inspira son célèbre tube “Tu m’oublieras”.

Non, franchement, je me serais moins ennuyé à un congrès sur la poterie ou, tiens, au boulot. Mais il fallait profiter. Ils l’avaient dit à la radio. Si au moins, inpettai-je, ils prévenaient la veille ! On pourrait se préparer un peu, prendre un bouquin, une planche de fromages, enfin, de quoi profiter un peu mieux, mais là, c’est pas pratique.

Soudain, la maréchaussée arriva.
– Que faites-vous là, monsieur ?
– Je profite.
– Vous vous rendez compte, si tout le monde faisait comme vous ?
– Non. Et puis c’est la radio qui a dit.
– Ah, vraiment ? Attendez un instant. Je me renseigne…”
Trois instants et demi plus tard, il revint.
– C’est bon, c’est bon, la radio a dit, ça ira pour cette fois. Mais la prochaine fois que vous profitez, essayez au moins de mettre un slip, c’est gênant pour tout le monde.”
Il partit. Je le trouvais nul en profit, il ne faut pas s’étonner que les caisses de l’état soient vides.

Je m’ennuyais tellement que je réfléchissais à une bonne occasion d’utiliser le mot “truchement”. Je m’ennuyais tellement que je me posais des questions sur l’épilation des sourcils.

J’appelai la météo.
– Bonjour, je suis en train de profiter.
– Rien de plus normal, monsieur.
– Seulement, je n’ai pas grand chose à faire, le soleil brille trop pour passer mon niveau de Candy Crush sur mon téléphone portatif, j’ai déjà compté mes doigts de pieds plusieurs fois, toutes mes maîtresses sans exception habitent des pays imbéciles où il pleut et je ne peux pas aller lire le café en buvant mon journal, le bistro du coin a rentré sa terrasse…
– Un instant, un instant, monsieur, je vous passe le département loisirs créatifs.
(Musique d’attente)(Lara Fabian)
– Ah, personne ne répond, monsieur, ils sont tous partis profiter. Ils préparent leur jardin pour l’hiver, je crois.
– Je ne vois pas le rapport.

J’étais à deux doigts de filer en douce ne pas profiter, je songeais à aller manger une fondue au fond d’une cave sous deux montagnes (superposées, un phénomène très rare) en tenue de camouflage, mais j’avais bien trop peur que la brigade des profiteurs ne me débusque et ne me rappelle à l’ordre et puis il était à peine huit heures du matin alors bon, la fondue.

Puis soudain, la météo rappela pour dire “non, c’est bon, on s’est trompés, il va peut-être y avoir encore deux jours de beau en novembre, vous profiterez à ce moment-là”, et je me sentis soudain bien soulagé.